>> Voici un film qui, perdu au milieu de titres plus attrayants et b�n�ficiant de davantage de publicit�, risque de passer inaper�u. Ce serait grand dommage, car cette �uvre m�rite largement d��tre vue et comment�e.
Je commencerai n�anmoins par faire un reproche au r�alisateur: je trouve regrettable qu�il ait choisi de s�attarder assez longuement sur les sc�nes de violence (ce qui m�oblige, de ce fait, � d�conseiller ce film aux �mes sensibles). Malheureusement, Pavel Lounguine partage ce d�faut avec beaucoup de cin�astes d�aujourd�hui. D�s qu�il est question de violence, on se croit tenu de tout montrer. A-t-on donc d�sappris l�art de la suggestion?
Cela dit, "Tsar" n�en reste pas moins une �uvre de grande envergure, non seulement parce qu�elle offre aux regards un spectacle �blouissant, mais aussi et surtout parce qu�elle invite � une vraie r�flexion sur les rapports entre le pouvoir et la religion. Pavel Lounguine revisite en effet un mythe de l�histoire russe, d�j� illustr� au cin�ma (mais de mani�re tr�s diff�rente) par Eisenstein: celui du premier souverain russe � s��tre fait appeler tsar, le fameux Ivan IV le Terrible.
D�s le d�but du film, une belle id�e de mise en sc�ne nous fait comprendre � qui nous avons affaire: � un �tre dont une des d�mences est de souffrir d�un d�doublement de la personnalit�. D�un c�t�, il y a un homme qui prie, qui s�humilie, qui se lamente en confessant ses nombreux p�ch�s. Puis cet homme se l�ve et rev�t un � un les attributs de son pouvoir : appara�t alors, de l�autre c�t�, le tsar, le souverain fou, intimement persuad� qu�il est l��lu de Dieu et qu�il peut, d�s lors, faire torturer et massacrer qui bon lui semble. La folie d�Ivan se manifeste aussi par son obsession de l�Apocalypse: � ses yeux, la fin du monde est imminente et il convient d��liminer sans tarder tous ceux qui souillent encore la terre de Russie: ennemis et comploteurs.
Vient alors l��pisode du r�gne d�Ivan que Pavel Lounguine a choisi de conter. Le tsar fait venir � Moscou un pope, Philippe, qu�il a choisi pour �tre le m�tropolite de la ville, pensant ainsi en faire son alli�. Apr�s h�sitation, Philippe accepte, mais se r�v�lera au fil du temps fort diff�rent de ce qu�escomptait le tsar. Ce n�est pas un alli� qu�a trouv� Ivan, mais un homme qui, au nom de sa foi et au nom de l��vangile, osera d�noncer la folie meurtri�re du souverain. Une des sc�nes les plus fortes du film se passe dans une ar�ne o� viennent d��tre mis � mort des ennemis suppos�s d�Ivan. Celui-ci les a livr�s � un ours sauvage. Une fillette, une orpheline simple d�esprit qu�a recueillie le m�tropolite, se l�ve alors et, portant une ic�ne de la Vierge, s�approche de l�ours qui lui donne un coup de patte. La fillette s�effondre, mais c�est le m�tropolite qui se l�ve � son tour, ramasse l�ic�ne et traverse l�ar�ne sans �tre inqui�t� par l�ours.
Que faire quand on est le t�moin des turpitudes et des crimes de ceux qui ont le pouvoir? Faut-il �tre prudent? Faut-il se taire? Faut-il rester en retrait? Le m�tropolite Philippe choisit une autre voie: il a le courage de d�noncer ce qui, � ses yeux, est insupportable. Au nom de sa foi, il ne peut se taire. Il s�oppose � la folie du tsar et refuse de v�n�rer un homme qui, croyant que son pouvoir �mane de Dieu, consid�re que tous ses sujets sont tenus de l�adorer. Audace qui vaudra � Philippe d��tre destitu�, emprisonn�, puis enfin de mourir en martyr.
Ce film a, para�t-il, provoqu� un vif d�bat en Russie. On le comprend car, bien s�r, en parlant du pass�, le r�alisateur nous parle aussi de la Russie d�aujourd�hui. Dans une interview, Pavel Lounguine explique qu�� cause pr�cis�ment d�Ivan le Terrible la Russie a rat� son passage � la Renaissance et que, d�une certaine fa�on, aujourd�hui encore, elle reste dans le Moyen �ge.
Bande annonce: (allocin�.fr)
"TSAR," un film de Pavel Lounguine (Russie - 2009 - Sortie: 13/01/2010) par le P�re Luc Schweitzer, ss.cc
"Le Rubban blanc"
par Luc Schweitzer ss.cc
Contrairement � ce que j�ai pu lire dans certains avis, ce film, � la fois superbe, �trange et combien d�rangeant, n�a pas pour ambition d�explorer le mal absolu, encore moins d�en rendre compte (ce qui serait, d�une certaine mani�re, le justifier), mais d�en rechercher les racines ou l�origine.
Qu�est-ce qui conduit au mal absolu, au d�cha�nement sans contr�le de la haine et de la violence? Pour ce faire, Haneke situe son film dans un lieu et un temps pr�cis (un village d�Allemagne � la veille de la Premi�re Guerre mondiale), mais il est �vident que le propos peut s�appliquer � d�autres lieux et � d�autres temps.
Voici donc un village qui para�t on ne peut plus paisible, mais dans lequel surviennent, tr�s vite, des �v�nements dramatiques et sanglants. Qu�est-ce qui r�de au sein de la communaut� de ce village, quel mal ronge les �tres qui y r�sident? Haneke prend bien soin de ne pas tomber dans le simplisme ou la caricature: il ne r�sout pas d�une mani�re �vidente les questions qu�il pose, il ne donne pas la cl� des sombres �nigmes qui endeuillent les villageois. Mais il nous fait voir des �tres qui, pris par le vertige de l�orgueil, brandissent haut des vertus morales (la puret�, l�ob�issance�), en font des r�gles intangibles qui les aveuglent et les rendent incapables de s�examiner eux-m�mes. Le discours moral �rig� en absolu ressemble �trangement � un pi�ge mortel. En somme, on peut dire de ces �tres qu�ils ont assassin� en eux l�enfance, et du coup leur propre humanit�. Et, bien s�r, ne sachant pas d�autre voie que celle-l�, ils entreprennent de fa�onner � leur image leurs propres enfants. Tel est le crime auquel nous assistons.
Je ne sais si Haneke en a eu conscience, mais il y a quelque chose de biblique dans ce film, dans cette qu�te des racines du mal qui sonne immanquablement comme une mise en garde. En voyant �voluer certains des protagonistes du film, je songeais � ce que J�sus disait des Pharisiens, ces "s�pulcres blanchis", si beaux, si rutilants � l�ext�rieur, mais qui, � l�int�rieur, ne contiennent que cupidit�, m�chancet�, mensonge, haine�
"Le ruban blanc" est un grand film, le meilleur de Haneke sans aucun doute, un de ces films dont on ne se d�barrasse pas ais�ment, qui continuent pendant des jours de hanter le c�ur et l�esprit. C�est un film qui pose des questions redoutables certes, mais c�est aussi un film � l�image somptueuse (quelle splendeur que ce noir et blanc!) et c�est un film qui est servi par des com�diens remarquables (y compris les enfants, �tonnants de justesse). En d�cernant � cette �uvre singuli�re la Palme d�Or, le jury du dernier festival de Cannes a surpris, mais c�est � bon escient. Car, je le r�p�te, ce film n�est pas uniquement tourn� vers le pass�, mais il interpelle le pr�sent: n�y a-t-il pas, aujourd�hui encore, des p�res qui, persuad�s de faire le bien, �rigeant en absolu des vertus morales, d�truisent le c�ur de leurs propres enfants?