Soeur Emmanuelle parle du Pere Damien

Ils puisent � la m�me source!

"Jeune adolescente dans les ann�es 1920-1925, l'�pop�e du P�re Damien me paraissait exaltante: accepter d'aller vivre jusqu'� la mort dans une �le lointaine pour apporter l'Esp�rance du Christ � des malheureux l�preux abandonn�s de tous, c'�tait vraiment le summum de l'Amour: le visage du P�re Damien devenu l�preux d'amour me fascinait. Il avait su, lui, aller jusqu'au bout du don.

C'�tait le temps o� le P�re Der�ly nous enflammait en nous d�crivant le C�ur br�lant du Christ se sacrifiant pour le salut des hommes: comme la vie �tait belle lorsqu'on mettait ses pas dans les siens pour apporter r�confort et joie � ceux qui souffrent.

Ma s�ur venait de se marier et je la voyais profond�ment heureuse de sa maternit�. Mais ma vocation �tait diff�rente, je devais la suivre pour y trouver moi aussi mon �panouissement: c'�taient de petits l�preux que je me sentais appel�e � bercer. Dans un s�jour � Londres "to speak english", en m�me temps que l'anglais j'appris � conna�tre la congr�gation de Sion: je fus frapp�e par sa spiritualit� et le d�vouement des S�urs aux enfants pauvres du quartier. II me fut cependant expliqu� que, parmi les Missions � travers le monde, il ne manque pas de mis�res � soulager, mais point de l�preux! J'aurais visit� � Londres d'autres Communaut�s religieuses, mais aucune ne s'occupait de l�preux.

Je suis donc entr�e � Sion, gardant dans mon c�ur le souvenir du P�re Damien et priant pour me donner comme lui aux plus d�sh�rit�s pour leur apporter la Paix du Ciel... et les ann�es pass�rent, j'�tais pleinement heureuse dans ma vocation.

Mais en 1971 , l'appel des l�preux jamais oubli�s surgit � nouveau. Je me trouvais alors dans notre coll�ge d'Alexandrie; nos Sup�rieures d�cid�rent de le passer � une congr�gation �gyptienne et de ce fait je me trouvais libre; en bonne sant� encore, Dieu merci, pourrais-je enfin � 61 ans r�aliser le r�ve jamais sorti de mon c�ur et suivre le P�re Damien chez les l�preux? J'obtins la permission d'aller au Caire pour visiter, � une trentaine de kilom�tres, l'immense h�pital o� ils �taient alors parqu�s.

Le nonce apostolique, Mgr Bruno Heim, me pr�ta sa voiture et me voil� en route vers la l�proserie; mais nous ne savions pas qu'elle �tait situ�e en zone militaire et en 1971 la guerre avec Isra�l battait son plein. Quand je franchis la porte de l'h�pital, je fus imm�diatement arr�t�e et conduite au poste de police, sous l'accusation d'espionnage: � l'�poque o� la l�pre restait encore un sujet de terreur, comment une �trang�re se risquait-elle l� o� personne n'osait se rendre: je risquai la prison... serait-ce le P�re Damien qui intervint du haut du Ciel pour que j'y �chappe? C'est dans les possibilit�s.

En tout cas, sans me d�courager et aid�e par le Nonce, j'�crivis une lettre officielle au ministre de la Sant� pour obtenir un permis sp�cial. Il me fut accord� et, la dans la main du P�re Damien je p�n�trai cette fois sans encombre dans la l�proserie. Je n'oublierai jamais la terrible vision de ces femmes enferm�es pans espoir de revoir jamais leur famille et leurs enfants et se pressant avidement autour de moi... enfin quelqu'un qui venait vers elles! C'est fini, j'allais leur appartenir, comme le P�re Damien, � la vie, � la mort... car l'Amour est plus fort que la mort.

Rentr�e au Caire, le Nonce �tant toujours bienveillant, je lui demandai de m'aider � obtenir une permission officielle de s�jour dans la l�proserie. Apr�s avoir �tudi� la question Mgr Heim me dit: "II vous faut pas mal de permis: du ministre de la sant� puisqu'il s'agit d'un h�pital; du ministre des affaires �trang�res puisque vous n'�tes pas �gyptienne; du ministre de la guerre, puisque vous �tes dans une zone militaire; du ministre de l'int�rieur charg� de la s�curit� puisque vous avez �t� soup�onn�e d'espionnage, et qui prouve qu'on ne vous en accusera pas encore, car cela para�tra invraisemblable que vous vous plongiez dans la l�pre sans un objectif cach� " Que de ministres, que d'obstacles! P�re Damien, tu m'as bien aid�e jusqu'ici, vas-tu m'abandonner maintenant?

Je crois qu'il ne m'a pas abandonn�e, mais m'a lanc�e dans une autre aventure; car, devant ma d�confiture - mon beau r�ve d'adolescente s'�tait pour jamais envol�! Mgr. Heim me proposa de m'occuper des chiffonniers; autres parias, m�pris�s de tous, entass�s dans des bidonvilles sans aucun secours humain. Quand il m'y conduisit (� la suite de son petit chiffonnier) je fus comme aspir�e- comme le P�re Damien avait d� l'�tre par les l�preux - ruelles o� s'entassaient toutes les ordures ramass�es chaque jour: cabanes en vieux bidons trou�s, pas d'eau, pas d'�lectricit�, pas d'�cole, pas d'�glise, pas de dispensaire - rien que des enfants d�guenill�s, aux mouches dans les yeux... J'ai alors compris que Dieu m'appelait � vivre au milieu d'eux pour les sauver, � la suite du P�re Damien, en essayant d'avoir un c�ur aussi br�lant d'amour que le sien: pour cela il ne fallait que puiser � la m�me source: la fournaise ardente du C�ur de J�sus dont nous parlait le P�re Der�ly.

C'est donc gr�ce au P�re Damien que j'ai fini par atterrir chez les chiffonniers o�, depuis 22 ans, j'ai eu comme lui, la vie la plus passionnante qu'une cr�ature humaine puisse avoir sur cette terre. Tous ceux qui, avec le Christ, se livrent corps et �me � l'Amour de leurs fr�res et s�urs, font cette exp�rience formidable: "l'oiseau bleu" du bonheur ne s'envole plus de leur demeure... m�me dans les heures les plus douloureuses, au plus profond du plus profond de l'�me, r�gne une Joie myst�rieuse, la Joie m�me de Dieu, rayon de la Joie parfaite de St Fran�ois d'Assise !

Elhamdulillah! "Gloire � Toi, Seigneur!"
S�ur Emmanuelle (1908-2008)
Septembre 1993


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█ SOURCE
█ Texte publi� dans "Horizons Blancs" n�197
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