>> L'adaptation tr�s aust�re du roman de Diderot r�alis�e par Jacques Rivette en 1966 avait fait sensation au point que le film avait �t� interdit pendant quelques mois. Il ne risque pas d'en �tre de m�me avec cette nouvelle adaptation, bien moins aust�re cependant, sign�e Guillaume Nicloux.
Les temps ont chang� et l'on admet volontiers aujourd'hui que les communaut�s religieuses peuvent �tre le th��tre de graves d�rives. Pas plus que le film de Rivette, celui de Guillaume Nicloux ne s'en prend � la religion en tant que telle ni m�me � l'Eglise en tant qu'institution. L'h�ro�ne du r�cit, Suzanne Simonin, est contrainte par sa famille d'entrer en religion comme on disait alors. Apr�s s'�tre rebell�e, elle se r�soudra � prendre le voile, mais comme il n'y a pas en elle la moindre trace de v�ritable vocation, elle luttera jusqu'� ce qu'elle puisse se sortir de ce gu�pier! En attendant, elle passera entre les griffes de deux communaut�s et donc de deux m�res sup�rieures aux m�thodes antagonistes mais toutes deux perverses. Malgr� cela, malgr� ce qu'on lui fait subir, il est � noter que Suzanne Simonin garde la foi: celle-ci n'est pas remise en question et on la voit, � plusieurs reprises, en train de prier.
Le sujet est int�ressant et, m�me s'il semble d'un c�t� vieillot (on n'oblige plus qui que ce soit � entrer en religion!), il reste d'actualit� d'un autre c�t�, car il peut toujours y avoir ici ou l� de graves d�rives au sein de communaut�s religieuses.
L� o� le b�t blesse, l� o� le film de Guillaume Nicloux para�t bien faible cependant, c'est dans sa mise en sc�ne. Souvenons-nous d'un autre film, sorti il y a quelques mois, et qui lui aussi d�non�ait de terribles dysfonctionnements au sein d'une communaut� religieuse: je veux parler d'"Au-del� des collines" de Cristian Mungiu, remarquable dans sa mise en sc�ne, inventif et, du coup, passionnant d'un bout � l'autre. Ici malheureusement, tout appara�t bien plat: pas un plan vraiment int�ressant! Certes les actrices de "La religieuse" sont toutes excellentes, mais le film manque de relief et on s'ennuie un peu. C'est bien dommage mais, � cause de ce manque d'originalit� dans sa r�alisation, l'impression que l'on garde, apr�s avoir vu ce film, reste tr�s mitig�e.
>> Voici sans conteste un des films les plus intrigants et les plus captivants qu�il m�ait �t� donn� de voir en cette ann�e 2012.
Palme d�or � Cannes en 2007 pour "4 mois, 3 semaines et 2 jours", le roumain Christian Mungiu nous revient donc avec cette �uvre � combien �trange, mais qui s�inspire de faits r�els, �uvre elle aussi r�compens�e � Cannes par un double prix d�interpr�tation f�minine (tout � fait m�rit�) et par le prix du sc�nario.
Pour comprendre l�intention de l�auteur, peut-�tre n�est-il pas inutile de dire un mot, d�s � pr�sent, de la derni�re sc�ne et du dernier plan du film. Qu�y voit-on en effet? Au milieu d�un paysage enneig�, une partie des protagonistes du film est emmen� dans un fourgon de police. Le v�hicule arrive en ville, se met � l�arr�t et, au bout d�un moment, une voiture, passant par l�, envoie un jet de boue sur son pare-brise: c�est la fin du film.
La neige d�un c�t�: symbole �vident de puret�. La boue de l�autre: symbole �vident de la souillure. Mais reste � savoir qui porte le plus de souillure dans ce film car, comme bien souvent, les apparences sont trompeuses. Est-ce la p�cheresse d�sign�e qui est la plus souill�e, Alina qui revient d�Allemagne dans l�espoir d�emmener avec elle Voichita, la seule qui l�ait jamais aim�e? Mais Voichita, qui a trouv� refuge dans un couvent de nonnes, jure qu�elle a trouv� Dieu et que lui seul peut d�sormais la combler! Est-ce donc dans le c�ur de Voichita et des autres nonnes qu�il y a le plus de souillure? Sans doute que non� Mais alors peut-�tre dans le c�ur de ceux qui sont charg�s de conduire le couvent : la m�re sup�rieure et, bien plus encore, le pope?
Alina s�me le trouble dans ce monde clos du fin fond de la Roumanie, dans ce monde isol�, si bien prot�g�, sans �lectricit� et sans eau courante, monde archa�que mais o� tout avait l�air, jusque l�, de fonctionner si bien, trop bien, sous l�autorit� incontest� du pope. Mais Alina, en semant le trouble, r�v�le les intentions profondes de chacun : les c�urs sont mis � nu, on finit par les voir tels qu�ils sont, p�tris d�orgueil et de folie.
Comme dans l��vangile, on a affaire aux "pharisiens", si prompts � d�celer le mal chez autrui et si aveugles quand il s�agit de se scruter soi-m�me. Ce n�est pas cependant � proprement parler un monde dictatorial qu�a �rig� le pope, ou alors il s�agit d�une dictature d�ordre strictement mental. Le couvent n�est pas cern� de hauts murs. Mais le pope, par son discours, par son emprise sur les nonnes, s�emploie � dresser des murs dans les t�tes et dans les c�urs. Et, � force de vivre coup� de tout, � force d��tre obs�d� par le p�ch�, � force de voir la griffe du Malin dans tout ce qui vient troubler, si peu que ce soit, l�ordre �tabli, c�est la folie, c�est le d�lire qui survient, et un d�lire meurtrier. Il s�agira donc d�exorciser la p�cheresse, ce qui donne lieu, � la fin du film, � des sc�nes hallucinantes.
Ce film n�est donc pas, me semble-t-il, une critique de la religion en tant que telle, ni de la foi, ni de l�engagement, m�me radical, � la suite du Christ, mais des d�rives sectaires, mais de la folie de ceux qui, ayant charge de diriger des consciences, abusent de leur autorit� et de la faiblesse d�autrui et conduisent leur troupeau dans un pr�cipice. Ces folies-l�, qui semblent d�un autre �ge, perdurent cependant, et pas seulement dans un coin perdu de Roumanie. Ce film, aux images inoubliables, � la mise en sc�ne parfaite, aux actrices et acteurs impeccables, nous invite aussi � cela: � la vigilance�
