>> Chaque ann�e, au d�but du car�me, tu viens � notre rencontre Seigneur .
Chaque ann�e, tu nous retrouves sur diff�rents chemins, � diff�rentes �tapes de notre vie. Parfois, nous la voyons grise, endormie, d�pourvue de sens; mais soudain, tu viens nous r�veiller et nous sortir de notre torpeur.
"Voici le jour du Salut" "Voici que je me tiens ici � la porte de ton c�ur et je frappe"�
Tu nous appelles Seigneur, mais nous sommes d�courag�s. Envoie-nous ton Esprit, qu�il nous pousse jusqu�� notre intime V�rit�.
Tu nous appelles Seigneur, mais nos cha�nes nous emp�chent d�ouvrir la porte. Viens rompre nos liens, mets en nous un c�ur sinc�re.
Tu nous appelles Seigneur, tu te tiens de l�autre c�t� de notre porte et tu nous demandes : du pain � travers la voix bris�e de notre fr�re pauvre, d�accueillir notre fr�re sans-abri, de partager notre c�ur avec notre fr�re d�laiss�, de te d�couvrir dans les larmes de notre peuple.
Donne-nous aujourd�hui de vivre ce car�me avec toi et avec l�Eglise, pour que notre conversion soit vraie; et qu�en regardant vers toi nous puissions voir nos fr�res dans la v�rit�;
pour qu�en allant maintenant vers toi, nous commencions � marcher, partageant le chemin de tout notre peuple. Aide-nous � donner de notre n�cessaire, et non d�offrir juste le superflu. Aide-nous � �tre fraternel avec nos amis, avec ceux qui pensent diff�remment et avec nos ennemis.
Seigneur, avec toi dans cette mont�e vers ta P�que, que nous puissions nous convertir en serviteurs du monde, avec toute l�Eglise, par le t�moignage de notre vie. Amen !
La messe de minuit �clate en un jeu de lumi�res et d��motions. Oui, Stille Nacht! Douce Nuit! Le proph�te Malachie avait donn� le Messie comme "soleil de lumi�re" (Ml 3,20).
Nous y sommes! Fid�le � cette vision, vers la fin du 4� si�cle � Rome, la tradition chr�tienne remplace la f�te pa�enne du Sol Invictus (renaissance du soleil apr�s le solstice d�hiver) par celle de la naissance du Christ. Elle y ajoute m�me de ci de l� la m�moire des Noces de Cana. Le Christ-lumi�re naissait ainsi en pleines t�n�bres d�hiver et pr�sidait le premier repas eucharistique de sa communaut� de Cana! Relisant les �vangiles � notre tour nous cherchons plus avant ce qu�ils nous disent de l��v�nement. Regardons donc les textes de la messe de minuit, surtout celui de l��vangile de Saint Luc plac� au centre de la c�l�bration.
Cette premi�re lecture de notre liturgie porte l�esp�rance d�une lib�ration apport�e par la naissance d�un enfant royal intronis� avec les titres de ses anc�tres les souverains de J�rusalem. Ce portrait �tale devant Isra�l un r�ve tellement beau que les premiers chr�tiens y verront l�annonce de J�sus mais d�un J�sus diff�rent de celui qui �tait attendu. "Le peuple qui marchait dans les t�n�bres a vu se lever une grande lumi�re" dit Isa�e. Pour les chr�tiens aussi.
Nous attendons la manifestation de la gloire du Christ. Ce soir elle nous est offerte par la modestie d�une simple mangeoire et d�un b�b� vagissant. Comment �tablir la relation entre ces deux affirmations de foi si �loign�es l�une de l�autre?
L��vangile raconte la r�alisation de ce que les deux textes pr�c�dents ont essay� d�entrevoir et de nous proposer. Pour acc�der � ce que l��vang�liste Luc dit de sp�cifique touchant la naissance de J�sus, il faut traverser trois cercles qui forment les contextes de son r�cit. Un premier cercle int�gre tout d�abord le r�cit de Luc aux "�vangiles de l�enfance". Seuls Matthieu et Luc les rapportent. Textes tardifs dans le processus de composition des �vangiles, ils introduisent dans la biographie de J�sus une dimension connue de la plupart des vies de saints m�me modernes : la projection dans l�enfance du personnage c�l�bre de ce qui sera un jour son avenir et son destin glorieux. Ainsi J�sus pr�sent� dans ces textes est-il bien davantage qu�un petit b�b� vagissant. L�annonce et le r�cit de sa naissance et de sa pr�sentation au Temple donnent � lire derri�re le petit enfant le Messie Sauveur venu dans le monde. Cette r�troprojection sur l�enfance du futur adulte se fait par un rappel discret puis� dans la vie d�autres personnages c�l�bres, particuli�rement Mo�se: m�me naissance impossible, m�me enfance menac�e, m�mes pr�dictions aux parents etc. La "Vie de Mo�se" de Philon, les "Antiquit�s Juda�ques" de Flavius Jos�phe, et surtout le "Targum Palestinien" sur Exode 1-2 donnent de l�enfance de Mo�se une pr�sentation dont les r�cits �vang�liques sauront tirer profit pour parler de la naissance de J�sus.
Un deuxi�me contexte est donn� par le parall�le entre le r�cit des deux �vang�listes, Matthieu et Luc. A notre �tonnement, Matthieu r�duit le r�cit de la naissance � un seul verset (Mt 1,25) mais insiste sur le lien voire le parall�le entre Marie et Joseph (g�n�alogie, annonce � Joseph, fuite en Egypte, massacre des innocents et retour d�Egypte). De son c�t�, Luc se cantonne � un parall�lisme strict entre J�sus et Jean le Baptiste. De plus, Matthieu a choisi de dresser l�arbre g�n�alogique de J�sus puis de centrer l�attention sur le th�me de la royaut� et de la filiation davidique de J�sus (Mt 1) l� o� Luc propose de passer de l�Ancien (Jean Baptiste) au Nouveau Testament (J�sus) et met davantage l�accent sur le r�le des femmes, Elisabeth et surtout sur Marie. Par cette derni�re, toute l�attention est port�e sur le myst�re de l�Incarnation, myst�re des myst�res. Disons pour faire bref que la th�ologie de Matthieu pr�ne l�origine historique davidique du Messie et le propose comme souverain du monde � travers l�adoration des "rois mages" C�est dire l�ouverture universaliste de l��v�nement: m�me enfant, J�sus est d�j� le ma�tre du monde et des hommes. Luc, de son c�t�, insiste sur la reconnaissance de J�sus par le monde c�leste (les anges) et les bergers, ces pauvres de la terre d�Isra�l.
Voil� qui permet de lire la nativit� selon saint Luc dans son contexte propre, l�ensemble de ses deux premiers chapitres qui forment un troisi�me cercle de lecture. Ces chapitres sont une v�ritable liturgie c�leste et terrestre. Plac�e sous le regard de Dieu, celle-ci rythme l�histoire comme l�espace et se d�roule au fil d�une double naissance mise en parall�le: celle de Jean Baptiste et celle de J�sus. En Jean Baptiste, l��vang�liste proclame l�accomplissement des promesses de l�Ancien Testament et annonce la nouveaut� inou�e de la naissance de J�sus. Mais le parall�lisme n�est pas qu�imparfait car l��vang�liste a pour souci de construire une biographie de Jean le Baptiste qui sert de repoussoir � celle de J�sus. A titre d�exemple, �coutons l��tonnement final des t�moins de la naissance de Jean, la famille sacerdotale de Zacharie et les voisins ("Que sera donc cet enfant?" Lc 1,66), l� o� J�sus na�t entour� de pauvres exclus du culte du fait de leur m�tier mais �perdus d��tonnement (attitude religieuse) et capables de t�moigner de la r�alisation du plus grand des miracles (Lc 2, 17-18).
Le texte m�me de saint Luc (Lc 2,1-14) confirme ce que les contextes ont d�j� avanc�, � savoir la dimension proph�tique du texte touchant J�sus et sa naissance hors du commun. Deux sc�nes successives (2,1-7 et 2, 8-14) �laborent cette dimension. La premi�re (versets 1-7) �tablit une antith�se entre l��vocation de l�empereur Auguste ordonnant de recenser le monde entier et ce modeste jeune couple vagabond pour lequel il n�a pas de place dans la salle d�h�tes. Ce n�est rien d�autre que la plus modeste condition de vie dress�e en face du pouvoir historique administratif (le recensement). Dans ce cas, la modestie est porteuse non de puissance mais d��ternit�. Cependant, Luc ne verse pas dans le mis�rabilisme ; il n�utilise pas le terme sp�cifique "pandocheion", h�tellerie ou �table � animaux, pour ce que nommons la "cr�che", mais celui de "kataluma", mot qui d�signe une salle commune d�auberge ou de maison priv�e, le lieu o� l�on d�fait les bagages. Salle d�habitation ou de s�jour, ce terme est employ� en Lc 22, 11, pour d�signer la pi�ce o� J�sus fera pr�parer le repas pascal. R�dig� apr�s P�ques, notre r�cit peut parfaitement inclure ce rapprochement. Voil� qui invite � relire la sc�ne de la nativit� sous un autre aspect. Ce "premier-n�", en contraste avec l�empereur et son pr�fet de Syrie, tous deux personnages d�envergure mondiale, se laisse d�j� entrevoir comme celui qui se donnera � approcher plus tard, dans la salle commune pour la C�ne, l�Institution essentielle de sa pr�sence parmi les hommes. L�histoire la plus imposante d�Auguste et des lois de son empire doit s�incliner d�j� devant la faiblesse d�un �tre accueilli dans une humble communaut� des bergers. De plus, Luc, dans un seul verset qui restera grav� dans la m�moire de l�humanit�, d�crit les trois premiers gestes maternels qui entourent J�sus: "Elle accoucha de son fils premier-n�, elle l'emmaillota et elle le d�posa dans une mangeoire parce qu'il n'y avait pas de place pour eux dans la salle d�h�tes" (Lc 2, 6). Voil� trois gestes naturels d�attention maternelle, trois mots pour dire l��v�nement dans sa simplicit�, dans sa fragilit�, et dans sobri�t�. Ce sont les t�moins, anges et bergers, qui vont donner � cette simplicit� sa v�ritable dimension.
La deuxi�me sc�ne (versets 8-14) est bruissante des chants et des louanges de la terre (les modestes bergers) et du ciel (les troupes d�anges). Dans ces versets, pour le lecteur, l�enfant de Palestine dont on c�l�bre la naissance c�est celui que les premiers chr�tiens proclament Fils de Dieu apr�s sa r�surrection. A bien les �couter, d�s le r�cit de son enfance J�sus re�oit des titres christologiques qui le c�l�brent comme Seigneur, Fils du tr�s Haut, Fils de Dieu, Christ, "le" Sauveur. Ces titres donnent le vertige surtout lorsqu�ils sont rapproch�s du petit enfant de Bethl�em. Cette deuxi�me strophe reprend les termes de la premi�re: "vous trouverez un nouveau-n� emmaillot� et couch� dans une mangeoire" est-il dit aux bergers par les anges au verset 12. L�humble �tat de choses n�est que le signe donn� d�un "sauveur n� aujourd�hui dans la ville de David, un sauveur qui est le Christ Seigneur" (v.11) C�est le monde � l�envers: point de fracas de victoire ou de procession triomphale d�un empereur sur le forum de Rome, rien qu�une mangeoire comme il y en avait dans toutes les pi�ces communes des maisons o� hommes et b�tes partageaient le m�me toit, un d�cor ordinaire pour tout dire.
No�l est, en notre messe de minuit, l�entr�e du Fils de Dieu dans le quotidien de Marie, Joseph, des bergers, de nous autres en somme. Nous avons raison de laisser jaillir l��motion en cette c�l�bration de minuit, puisque Dieu nous y rejoint pour faire de nous les enfants de sa famille sans fronti�res. C�est le sens du chant des anges: "Gloire � Dieu au plus haut des cieux, et sur la terre paix pour tous ceux auxquels Il veut du bien" (v.14). Pris dans cette liturgie, les bergers se font imm�diatement t�moins de la pr�sence de Dieu sur terre en annon�ant cet enfant qui nous est donn�. A notre tour!